« Ce n’est pas seulement ce qu’on mange qui compte, mais la manière dont on le fait. »
Dans une société où tout s’accélère, notre rapport à l’alimentation a été profondément déstructuré. On mange vite, souvent mal, et parfois sans même s’en rendre compte. Mais au cœur de cette course quotidienne, un goût discret, profond, presque silencieux, nous tend la main : l’umami. Ce goût savoureux par excellence, présent dans les bouillons, les fromages affinés, les tomates mûres ou le parmesan, est une invitation à ralentir, mieux ressentir, revenir à soi.
L’umami : un goût, une révélation, une philosophie
Si le mot « umami » nous vient du Japon, le goût qu’il désigne est universel. Ce cinquième goût — à côté du sucré, salé, acide et amer — est celui de la profondeur, de la persistance, de la cohérence.
Contrairement aux saveurs vives ou tranchées, l’umami s’insinue. Il enrobe, équilibre, rassasie. Il est le goût de la concentration, comme dans les bouillons ou les sauces réduites, ou les aliments fermentés. Ce n’est pas une explosion : c’est une note longue, posée, apaisante.
Et surtout, c’est un goût qui, lorsqu’il est bien intégré dans l’alimentation, permet de réduire la sensation de faim, de freiner les excès, de satisfaire pleinement.
Rééduquer son goût, réapprendre à manger
Ce goût-là, je l’ai redécouvert après des années passées entre sommellerie et restauration. J’ai toujours été sensible au goût juste, à la finesse d’un plat, à l’équilibre d’un vin. Mais comme beaucoup de professionnels du secteur, j’ai aussi traversé des périodes de désalignement : rythme effréné, alimentation rapide, fatigue… Je suis moi-même tombé dans les travers d’une alimentation ultra-transformée, trop riche en additifs, trop pauvre en vérité.
Ce retour vers une alimentation centrée sur l’umami — donc sur le goût vrai, le produit brut, la cuisine lente — m’a fait reprendre conscience de l’essentiel. Non seulement parce que c’est meilleur, mais parce que cela change tout dans la relation que l’on entretient avec soi-même
Manger, ce n’est pas juste se nourrir
Manger n’est pas un acte mécanique. C’est un temps de pause, de réancrage, de partage. Pourtant, aujourd’hui, entre téléphone à table, repas sur le pouce, et plats industriels, nous perdons le lien. Le lien à la saison, au territoire, à notre propre corps.
Et surtout, nous mastiquons de moins en moins. Or, la mastication n’est pas un détail : elle favorise la digestion, elle réduit le stress, elle ralentit le mental. En mâchant lentement, en savourant vraiment, on ressent plus, on mange mieux, et souvent moins.
Accords mets-vins : l’harmonie du goût jusqu’au bout
Une parenthèse pour les amateurs de vin : Jacques Puisais, grand pédagogue du goût, a été un des premiers à structurer ce que l’on appelle aujourd’hui les accords mets-vins en France. Ce que l’on prenait autrefois pour une habitude empirique est devenu, grâce à lui, un art du dialogue entre saveurs.
Et comme l’umami, un bon accord n’écrase pas, il révèle. Il prolonge une sensation. Il crée du lien. Ce n’est pas une science exacte, mais quand ça fonctionne, c’est magique.
Et si on réapprenait à manger ?
Cette redécouverte de l’umami m’a aussi conduit à une réflexion plus globale : la nécessité de réapprendre à manger. Nous vivons dans une époque où l’on parle beaucoup de calories, de macros, de régimes, mais où l’on oublie le bon sens culinaire et digestif.
Certaines traditions comme le jeûne, souvent considérées à tort comme extrêmes ou religieuses uniquement, peuvent apporter un équilibre salutaire. Le fait de ne pas manger pendant une période donnée — que ce soit pour des raisons culturelles, de santé ou de recentrage — permet aussi au corps de se reposer, à la digestion de s’optimiser, et à l’esprit de se clarifier.
Conclusion : une morale du goût, une hygiène de vie
Aujourd’hui, j’essaie de faire attention à ce que je mange. Pas pour être parfait. Pas pour tout contrôler. Mais parce que mal manger m’a déjà coûté trop cher. Parce que ce que l’on mange, c’est notre énergie, notre santé, notre lucidité, notre joie de vivre.
On ne changera pas tout du jour au lendemain. Mais commencer à mieux choisir ses produits, à cuisiner soi-même, à prendre le temps de mastiquer, à respecter les saisons… c’est déjà changer sa manière de vivre.
Manger, ce n’est pas seulement remplir un estomac. C’est se respecter. C’est s’élever.
Colin Lurot
Sommelier
L’umami, le goût du lien retrouvé : repenser notre manière de manger